Le 15 novembre - Bojeber -

5 Kehdar (mars) 2008

« Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres »
Lao Tseu

La pluie a cessé, la fraicheur s’est installée la nuit : 14° ce matin. Nous sommes à 2000 m d’altitude.

Les caravaniers à 3500 m. d'altitude. Brrr, fait froid...Le bus nous emmène vers Waliso en traversant des paysages de montagne magnifiques : cultures, huttes élégantes. La roue sinueuse est excellente, sa construction démarrée en 2006 s’est achevée en 2014. Au col, à 3500 m d’altitude, le vent est très frais. Pour atteindre le point culminant, nous foulons une prairie qui dégage l’odeur du serpolet. Arrivés au sommet, le panorama est époustouflant et une photo de groupe s’impose.


En approchant de la petite ville de Bojeber (3 300 m. d’altitude), nous découvrons que c’est jour de marché – de nombreuses personnes convergent vers la ville à pied ou à cheval – et décidons d’y faire halte et de découvrir le piano. Tandis que Marc avance avec le pick-up, nous parcourons les derniers mètres à pied pour arriver sur le marché avec le piano. Il y a foule et l’atmosphère est tranquille, nous marchons « anonymement » au milieu des hommes, des femmes et des enfants ; tous les hommes plutôt âgés arborent une canne en bois. Certaines femmes portent de lourdes charges (bois, céréales…), des hommes une poule au bras. Pas de sollicitations, pas de petites mains qui se glissent dans les nôtres. Des regards surpris, curieux et aussi bienveillants. Quelques « how are you » nous sont lancés. Un petit groupe de caravaniers s’assoit pour prendre un café et les échanges se font avec douceur. Les attitudes sont vraiment différentes de ce que nous avons vécu dans le sud. Des groupes se forment autour de nous avec retenue :

Les bulles de savon de Brigitte et Sylvie ont un franc succès. Elles attirent et étonnent les jeunes enfants qui approchent, les suivent du regard puis prenant de l’assurance essaient de les attraper. Chaque bulle éclatée déclenche des rires.

Georges arrive à entrainer dans la danse quelques hommes. Antoine et Pascale entonnent des chants spontanés sous des regards attentifs.

Le marché est divisé en plusieurs parties spécifiques : alimentaire uniquement avec des femmes (épices, choux, farine d’insète, piment, hydromel, café, lait caillé et son odeur si particulière ..), animaux vivants (chevaux, poules…), vestimentaire avec des mètres linéaires de chaussures et de bottes en plastique….et artisanal (cordes, dabas - pioche large pour le travail dans les champs, serpes). N’y sont vendus que des marchandises pour la consommation locale.

Dans ce village, pas de touk-touk, pas de motos, le moyen de locomotion, c’est le cheval.

Nous notons une présence plus marquée de la communauté musulmane (voile…). Et dans le contexte actuel, nous apprécions d’autant plus l’accueil qui nous est réservé.

Halte en campagne pour le pique-nique sur un espace arboré près des habitations. Des enfants s’installent en face de nous, et petit à petit le contact se fait. Chantal à l’accordéon… les enfants sont au début très réservés et reculent même quand nous leur proposons la main pour faire une ronde…

Les crocos ils l'ont bouffée...Quelques chants pour les « apprivoiser » et quand Antoine chante et mime les « crocos »: « on pagaie, on pagaie ; où t’as mis la pagaie ? là-bas sous les cocotiers, les crocos ils l’ont bouffée, on peut plus pagayer » c’est un véritable tabac ! les enfants répètent clairement les phrases et en redemandent. Une fois le chant collectif fini certains continuent encore à chanter. Ils s’en souviendront !

A côté, dans la cour de l’école, des femmes font de la vannerie. Janik s’est installée avec sa guitare auprès d’elle. L’instituteur est fier de nous montrer sa classe et nous épèle l’alphabet Amharique écrit sur une grande feuille affichée sur un mur avec la liste des nombres.


Douceur féminine

Une halte fraiche et vivifiante.

L'instituteur fier de montrer sa salle de classe

Ce soir au programme, détente dans le luxuriant campement où nous passons la nuit ! Certains rejoignent un mariage. Robert aura demain matin le temps d’accorder le piano qui a encore un peu souffert.

Lessive à l’éthiopienne

« Pour laver les Karos, utiliser l’Omo »

Francis.

Témoignages

Georges entraîné dans la danse« Ce que j’apprécie, ce sont les déambulations dans les rues avec le piano. Cela attire les passants, les invite à rejoindre les caravaniers. Ce que j’ai aimé, c’est quand les enfants sont venus me prendre la main. J’aime les échanges de regard, les sourires et m’amuser avec ceux que je rencontre. Je me souviens particulièrement d’un moment sur le marché de Bojeber. J’avançais en dodelinant, et un vieil homme est venu à côté de moi danser. Un attroupement s’est formé parce que quelqu’un avait commencé à danser…

J’aime aller à la rencontre des gens et quand le visage dubitatif libère tout d’un coup un grand sourire. J’ai le sentiment de participer à nourrir de la fraternité.

Aller à la rencontre des gens là où ils sont. C’est dans ces moments que je sens le plus l’esprit de la caravane. »

Georges

« Des mains et des sourires : Mon coeur est submergé d’émotions. Ici en Ethiopie mes larmes de fatigue se transforment en tendresse offerte sans retenue par des enfants, des bisous d’amour sur la joue dans le cou, des câlins et des mains qui s’étreignent.

Et ces sourires, les yeux rieurs, innocence d’un enfant qui ne demande rien d’autre que de se lover contre une Mam d’adoption. Je lui apprends ces mots : mon petit bonhomme.

Le petit protégé sourd-muet de SoizicDes petites menottes se blotissent dans mes mains ou s’agitent le long de la route toujours accompagnés d’un large sourire. Ailleurs, chez les Hamers, un petit garçon sourd et muet me sourit et lui aussi m’adopte car j’ai pompé l’eau tandis que Tateke le lavait. Il est accroupi nu sous le robinet les cheveux et le corps devenu blanc de savon, à rire heureux sortant de ce silence.

Lors de notre départ il m’attendait dès 5h devant ma tente pour me tenir la main et des larmes ont envahi son visage. Encore un petit bonhomme au sourire édenté qui par les gestes me rappelle ses doigts effleurant les touches du piano.

Une autre petite menotte s’est blottie dans ma main. Fillette de 6 ans au sourire effronté avec une assurance tenace durant 3 jours, me réclamera ma chemise rose, me rejetant parfois, mais le sourire l’emportera et la menotte retrouvera son lieu sécure.

D’autres mains offrent un merveilleux massage, six princesses à l’unisson hérissant mes cheveux blancs si intrigants. Puis à tour de rôle les doigts se hasarderont sur mon front, pommettes et nez, doux massage qui m’ôtera pour quelque temps mes maux de tête.

Echanges de sourire et de tendresse une nouvelle fois qui remplaceront les mots.

L’amour n’a pas besoin de mots, de langage, il est universel.

Soizic, toujours entourée d'enfantsPuis ces chants partagés, un lien sacré créé entre les êtres, ces rêves partagés. Je m’amuse tout comme eux à répéter des paroles que je dois écorner car les rires fusent de tous côtés et la complicité s’installe entre nous.

Tous ces visages sont dans mon cœur, ces sourires ces mains qui s’étreignant remplacent des discours. Nous sommes heureux de tant de liesse et de bonheur partagé.

Alors que de l’autres côté du monde dans notre pays civilisé, l’horreur s’est installée. Les mains ne sont plus innocentes, elles tiennent des armes et la mort a remplacé l’amour.

Les enfants avaient peur que je fasse ce voyage en Ethiopie, mais aujourd’hui c’est moi qui ai peur pour eux qui sont restés en France.

Ce monde est devenu fou.

Que dire, que penser… je ne sais plus. Cet enfant du silence a-t-il la réponse au-dedans de son innocence ? Entre la terreur et l’horreur de tous ces grands du monde qui pensent avoir la juste parole.

Je ne sais pas, je ne sais plus.

Alors j’aime…. C’est tout »

Soizic

Le mot de Marc

« Dimanche 15 novembre - 06 heures du matin

Je suis réveillé par le Muezzin. J’ouvre ma fenêtre. Ma chambre est située au cinquième étage de l’hôtel. Toute la ville s’étale devant moi. A moins d’un kilomètre, la mosquée, son minaret et son dôme imposant tentent de faire de l’ombre au soleil qui monte très vite sous cette latitude. Ils ne gagneront pas. Sans bruit, la lumière prend le dessus. Que dit la prière du Muezzin ce matin ? Envoie-t-elle de la compassion et du pardon pour les victimes de Paris ou louent-elles les martyrs d’Allah qui se sont fait sauter ce funeste vendredi 13 ? Je ne le saurai sans doute jamais. A côté de la mosquée, une église chrétienne orthodoxe. De là aussi partent des chants religieux… Les prières des deux confessions se mêlent harmonieusement. Dans ce pays, les chrétiens ont eux aussi un Muezzin qui fait l’appel. Dans ce pays, il semblerait que les deux religions se soient épousées… Je reviens sur mon lit et me mets à écrire un long message d’amour à mon épouse et mes enfants. 7h00… J’arrête ici mon article pour le JdB. Il est l’heure de se laver, ranger ses affaires et rejoindre le groupe. Départ à 8h00 pour aller jouer dans un autre village situé à l’Est d’Addis-Abeba.

Au milieu du marché de BojebarNous nous arrêtons dans un village de montagne à plus de 3000 mètres d’altitude. Le lieu est incroyable, la vue sur la vallée qui s’étend à l’infini est à couper le souffle. Il fait très froid, peut-être 7, 8° et il y a un vent terrible à décorner ce que vous voudrez. Le village est mélangé, musulmans et chrétiens. C’est jour de marché. Il y a un monde fou et tout ce monde cohabite simplement paisiblement. Nous préparons le piano et c’est en musique que nous arrivons sur place. Les personnes sont complètement interloquées. Que fais ce Farenji assis dans une remorque de 4X4 en train de jouer sur un piano ? Ce lieu n’est pas touristique du tout, il ne figure pas sur le parcours des tour-opérateurs. Et très vite les gens nous entourent, surtout les hommes. Les femmes restent en retrait. Elles aimeraient bien venir, je le lis dans leurs yeux mais la peur est là. Que se passerait-il si jamais elles osaient trop. Une jeune fille prend ce risque. Et nous nous lançons dans un 4 mains insensé, plein de rires et d’innocence. A la descente du Toyota, elle sera réprimandée par sa maman. J’assiste à la scène impuissant. Nous déambulons une bonne heure dans le marché et la remorque du Toyota est sans cesse assaillie par de jeunes hommes qui veulent jouer avec moi. Des dizaines de mains tapent en tout sens sur le clavier, impossible de jouer quoi que ce soit, c’est chaotique, peu importe, la joie est là, puissante. Des anciens me regardent, debout, s’appuyant sur leur canne, perplexes au début, sans doute essayent-ils de dévisager mon âme. Je gagne leur approbation, un geste simple d’une main qui salut, qui dit bienvenue. Et l’itinérance continue. Les caravaniers sont lâchés, dans toute cette foule bigarrée, chacun œuvre à la rencontre et ça marche. Assurément, le piano a crée une brèche, défonçant la muraille faite de préjugés et de peurs. C’est sans peine que nous entrons dans les cœurs de chacun. La foule nous est acquise, les sourires sont là, partout. Au début l’équipe cinéma et les photographes étaient chassés d’un geste agressif de la main, mais dans toute cette liesse, voilà qu’ils sont oubliés. Hubert et Jean-Pierre peuvent alors sortir leur caméra et tourner. Les photographes eux aussi s’en donnent à cœur joie. Et nous fendons cette masse bigarrée dans le rire et le partage. Il est l’heure de partir. Alors que nous rangeons tout, je me dis intérieurement : « quelle plus belle réponse pouvons-nous apporter aux massacres de Paris que celle-là. »

Marc

Messe du dimanche

« Dimanche, 4 heures. Appel dans la nuit noire, le portier m’ouvre. Je marche vers « Sainte Marie de Sodo ». Orthodoxie. Personne. Une lueur à laquelle je finis par emboiter le pas. Accompagnement. J’entre. Ferveur en blanc. Crécelle, crosse. Tapis. Prosternation. Accueil. Sourire. Femmes et hommes revêtus de blanc font le tour de « Sainte Marie » dans une liesse embrasée de chants dansés. Torches de cire. Le jour se lève enfin sur des fresques multicolores. Icône, Popes. Je parcours avec Monsieur Rediet les deux kilomètres qui me sépare de son hôtel. »

Robert

Témoignage

Marc et Jean-Daniel« Voilà presque deux semaines que nous voyageons à travers le sud de l’Ethiopie et demain, il me faut partir. Je voulais, avant mon départ, dire combien j’ai été heureux de partager cette expérience de « la Caravane amoureuse ». Quand j’ai contacté Marc en juillet, l’effectif était complet et j’ai rejoint la liste d’attente. Muriel, une très bonne amie, m’a affirmé alors : « Ne t’inquiète pas, tu iras ». Et je suis là. Au tout début, je ne connaissais personne mais très vite la rencontre a eu lieu : Que de belles personnes au sein de notre groupe ! J’ai beaucoup reçu de la caravane et de ceux qui l’habitent. Estelle a su trouver les mots qui apaisent et Robert, l’homme qui marchait avec un arc en ciel sur la tête, a su simplement être lui.

Cette merveilleuse aventure va me permettre d’avoir moins peur et de continuer à avancer. »

Jean-Daniel

Retours sur l’interview de Habtamu

et autres échanges que nous avons eus par ailleurs

Habtamu est d’Addis Abeba, marié avec deux jeunes enfants. Il a fait des études de journalisme et communication, il travaille actuellement pour la chaîne TV principale d’Ethiopie, comme journaliste. Ses sujets de prédilection portent sur les infrastructures (de transport, d’industrie, etc.) mais il lui arrive d’écrire des articles sur bien d’autres thématiques. Il a par ailleurs envie de reprendre des études en politique internationale [je suis certaine qu’on le retrouvera un jour dans le gouvernement éthiopien ou dans une ambassade, mais ça n’engage que moi]. Il a rejoint la Caravane à la demande de son frère, Abéjié, à qui il donne des coups de main ponctuellement lorsqu’il a des grands groupes à gérer. Il est très heureux d’avoir participé à cette aventure, et plus particulièrement à la journée « off » chez les Hamers. Ca lui a permis de faire plus spécifiquement la connaissance de certains caravaniers, comme Pascale, Soizic ou Janik et de passer des moments privilégiés avec les Hamers, en chants et danses. Il a beaucoup aimé aussi le passage chez les Mursis, tellement c’était décalé. Il a apprécié ce décalage et ce qui a fini par se créer à partir de ce point de départ qu’était l’arrivée d’un piano. Il garde aussi un grand souvenir, chez les Mursis, des enchères autour de ma personne, courtisée par plusieurs jeunes hommes [j’ajoute qu’il a fini par être un négociateur averti lorsqu’il a rejoint la discussion !]. Au final, il est vraiment très content d’avoir participé à cette aventure. »

Janik

Le djouga

Le Djouga« Je marchais dans la rue de Bojeber. Sur la droite, une femme accroupie sur le trottoir avec un enfant.  Elle tenait à côté d’elle des bâtons en bois naturel bien poli à moitié cachés sous des feuilles d’ensète (faux bananier). J’étais intriguée et j’avais envie de savoir à quoi ils servaient. D’une longueur d’environ 80 cm, Ils étaient effilés à une extrémité et à l’autre de forme cylindrique avec les bords découpés comme des dents de peigne. Je me suis accroupie en face d’elle et j’ai commencé à engager une conversation  gestuelle. En prenant le bâton (djuga) elle m’a expliqué le geste pour racler la feuille d’ensète,  ce qui sert ensuite à  fabriquer une galette (choro) à base de pâte fermentée.

Tout d’un coup je me suis rendu compte que nous étions entourées par une trentaine de femmes debout, attentives,  aux visages souriants.

 Avec cette femme nous avons échangé beaucoup de gestes et de sourires. Mais pour le prix c’est une autre femme qui a servi d’intermédiaire car nous n’arrivions pas à nous comprendre. Elle a accepté que je la prenne en photo. Je me sentais en sécurité et en complicité au milieu de ce groupe de femmes.

 Ensuite sur le marché, en me promenant avec ce Djuga, des femmes amusées m’abordaient et me montraient comment elles l’utilisaient.

Tous ces échanges par les gestes et les sourires furent un moment magique de communication. »

Marie Claude

Rencontre autour d’une photo ou l’art d’utiliser l’appareil photo pour établir une relation

Le photographe et les enfants« Arrêt déjeuner dans un village Guarague. Assis sur des nattes en attendant le repas, nous voyons se former un attroupement d’enfants. Aiguisés par la curiosité, ils s’approchent et nous observent. D’abord nous communiquons à distance par des gestes et des regards qui deviennent rapidement complices. Je leur montre mon appareil pour obtenir leur consentement et pour vérifier que la photo ne soit pas perçue comme une agression. Fedelu, le plus téméraire des garçons, s’approche. Je prends le premier cliché et lui montre son image. Les autres veulent voir aussi, les rires fusent. Fedelu réclame maintenant une deuxième photo entouré de ses deux meilleurs copains.  La glace est brisée ! Les filles s’approchent…  Maintenant tout le monde veut sa photo… Je remarque combien ils aiment se voir et reconnaitre les autres sur les clichés. Ils sont flattés d’être choisis, se sentent mis en valeur, vivent l’évènement comme une fête. Une photo avec un sourire entraîne un fou rire général. Les femmes et les jeunes filles se sentent belles ! »

Francis 

Interview (suite)

Luele

Le chauffeur du pick-up qui transporte le piano, né à Addis Abeba. Il a fait des études de guide touristique et s’est spécialisé dans la conduite. Il aime la caravane et les caravaniers car ils ont une façon différente de voyager. Ils vont facilement au contact de la population : donnent la main, portent les enfants... Il n’avait jamais vu de touriste avec un piano.

Très content d’avoir participé à trouver une solution lors de l’embouteillage au retour de Konso.


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