Le 14 novembre - Butajira -

4 Kehdar (mars) 2008

« « Nul besoin de se ressembler pour se rassembler »
Abdennour Bidar, Plaidoyer pour la fraternité

Nous nous réveillons avec une terrible et triste nouvelle : une série d’attentats a été perpétrée à Paris. Nous sommes atterrés par ces évènements dramatiques. Pourquoi tant de violence ?

Marc propose une pensée collective pour les victimes et leurs proches mais aussi pour ceux qui ont commis les attentats et leurs familles.

Nous partons en direction d’Hosaena et nous retrouvons une route goudronnée bien droite. Nous nous arrêtons pour acheter sur la route des fruits mangues, bananes, anones… à des petits marchands. Chantal sort son accordéon, Jean Marc l’accompagne « Tchou pata Tchou ». Les enfants répètent les onomatopées, des adultes s’approchent et s’y mettent aussi.

Devant une maison GuaraguéNous déjeunons à Hosaena dans un restaurant : le repas tarde à arriver. Sylvie va se renseigner et s’aperçoit que nos cuisiniers utilisent la cuisine du restaurant pour préparer notre repas qui sera servi dans nos assiettes et avec nos couverts. Serait-ce possible en France ?

Nous reprenons la route et traversons la région des Guaragués qui cultivent la café, l’inset ou faux bananier… En chemin, Habtamu nous propose de visiter une habitation Guaragué. Il y a une case pour les parents, les animaux, la cuisine et une case pour les enfants. Une nouvelle occasion de faire découvrir l’accordéon et de jouer avec les enfants.

Nous nous installons à l’hôtel de Butajira et après le repas, nous nous retrouvons tous ensemble pour un temps de recueillement et de méditation en soutien aux victimes des attentats de la nuit dernière et de leurs proches.

Le mot de Marc

« Allumer une bougie pour apporter de l’amour, de la douceur et de la paix à toutes les personnes qui ont été affectées par les événements du 13 novembre à Paris ». Tel est le premier mail que je lis à mon réveil. Quelle fusillade ? Toute la Caravane amoureuse est logée à Arba Minch dans un hôtel très agréable. Nous remontons vers Addis-Abeba. Quelle fusillade ? De quoi parle ce mail ? Je pressens qu’il s’agit de quelque chose de grave, d’important. Immédiatement je vais sur Internet et très vite, je reçois la réponse à ma question. Je suis abasourdi. Je sors de ma chambre et croise quelques caravaniers. Je vois qu’ils ne sont pas au courant. Je leur dis ce qui s’est passé… Très vite, la nouvelle circule, les ordis, les tablettes, les iPhones, tout ce qui nous relie à notre chez nous, se branche, s’allume et se connecte. Nous sommes tous choqués. Personne ne pleure mais les larmes sont bien là dans nos cœurs. Nous nous serrons. Nous sommes terrassés. Les éthiopiens autour de nous ne sont pas encore au courant mais très vite l’info se répand. A 13 heures alors que nous faisons halte dans un restaurant, nous constatons que toutes les télés diffusent les images des multiples attentats de Paris. 128 morts, 200 blessés… Un carnage. L’horreur… Que dire ? Que faire ? Les éthiopiens qui nous entourent dans le restaurant ne semblent pas s’intéresser aux images qui sont diffusées et ne montrent aucune empathie à notre égard… Cela me surprend. Je vais voir un groupe d’hommes attablé non loin de nous et leur montre du doigt la télé qui crache son flot d’images de souffrance. « Qu’en pensez-vous ? C’est terrible ! » L’un des hommes me répond visiblement dérangé par ma question : « C’est faux. Tout est truqué, ils disent n’importe quoi… » Je ne sais quoi répondre face à cette certitude générant une indifférence qui me désempare. Résolument continuer à œuvrer à l’amour… Aimer, aimer, aimer… Voilà ce que dit mon cœur et c’est ce que je lui dis en mesurant bien que ces mots, il ne les recevra sans doute pas. Quoi qu’il en soit, j’en suis convaincu, ces attentats resserreront les liens, ils auront l’effet escompté inverse : ils nous rassembleront, musulmans, chrétiens, juifs et autres. Je crois en l’homme et en sa conscience. Aujourd’hui nous sommes plus nombreux à être dans la lumière. Les ténèbres ne sauront résister à l’amour qui vibre en nous tous.

EtreinteLe soir nous arrivons à Butajira, une belle ville située à moins de 200 km d’Addis. La halte se fait là, dans un hôtel luxueux. La soirée nous regardons tous CNN, nous réalisons l’ampleur du traumatisme. A la fin du repas, tout le groupe se rassemble pour faire une prière silencieuse et créer un vortex d’amour envoyé dans l’univers… Puis chacun rejoint sa chambre. Pour certains la nuit va être courte. Antoine, notre Webmaster va pouvoir s’occuper du site, le réseau Internet nous l’avons eu les trois premiers jours, après ce fut le néant absolu… Hubert et Jean-Pierre, les cameramen, vont pouvoir générer sur les ordinateurs les images filmées et dans le même temps, Hubert va tenter de monter un mini teaser. Les photographes, Didier, Jean-Daniel, Francis et Alain vont eux aussi pouvoir trier et classer leurs photos… Les journalistes du JdB (le Journal de Bord) Sylvie, Chantal, Roger, taper leurs articles sur les ordis et recopier ceux des jours précédents écrits sur papier puisque les ordis n’avaient plus de batterie… Et cette nuit sera « rechargeante » pour tous, caravaniers qui souffrent de diarrhée et pour tout le matériel ! Téléphones, caméras, appareils de photos, batteries, ordis, etc… Il est plus de minuit, j’entends des cris dehors. J’ouvre ma fenêtre et vais sur le balcon. Un homme complètement ivre crie dans la rue qui semble déserte. Au loin en contrepoint j’entends un Muezzin qui chante ses prières à Allah. Leurs appels se mélangent en créant un paradoxe musical étonnant. Je lève la tête et découvre un ciel emplis d’étoiles incroyablement lumineuses, plus éclatant encore que le ciel du Sahara. Il est vrai que nous nous trouvons à plus de 2000 mètres d’altitude. Ici pas de moustiques, pas de palu donc, il fait trop froid. Et c’est vrai qu’il fait froid, je retourne vite dans ma chambre et me glisse dans mon lit enfin. Le sommeil viendra difficilement mais il viendra… »

Marc

Construire la paix : mission impossible ?

Combien de morts et de souffrances faudra-t-il encore avant de prendre conscience que la fraternité et la solidarité doivent l’emporter sur la violence et l’intolérance ?

Ces questions, certes intemporelles, prennent une acuité toute particulière en ce samedi 14 novembre en découvrant, pendant notre petit déjeuner à Arba Minch, sur la route de retour vers Addis Abeba, des images des 7 attentats extrêmement meurtriers qui se sont produits hier soir à Paris.

Un même regardEt pourtant ce que nous vivons depuis plus de dix jours dans la Caravane Amoureuse démontre, s’il en est encore besoin, que la rencontre entre des êtres de cultures très différentes par le langage universel de la musique, par les regards, par les sourires… est d’une grande richesse pour chacune et chacun. Nous avons vécu des moments de parfaite harmonie, voire de communion.

Et ce soir je me dis que, même si aucune forme de violence n’est acceptable, celle de quelques rituels auxquels nous avons assisté est bien dérisoire par rapport au carnage qui a coûté la vie aux 80 jeunes qui assistaient au spectacle du Bataclan.

Cette année 2015, année de la tragédie de janvier et maintenant de novembre, est aussi celle des 70 ans de l’UNESCO dont le préambule de l’acte constitutif est d’une rare clarté : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». 70 ans d’un travail de fourmi pour l’éducation (pour tous tout au long de la vie), les sciences exactes et humaines, la diversité culturelle et la biodiversité… travail jamais médiatisé à l’exception des programmes du patrimoine mondial…Et nous voici une nouvelle fois à l’aube d’un nouveau désastre mondial !

Est-ce donc si difficile de « cultiver la paix » ? Chantal retrouve sur Internet les mots exacts de la définition de la Culture de Paix adoptée par l’Assemblée Générale des Nation Unies en 1999 : « La culture de la paix est un ensemble de valeurs, attitudes, comportements et modes de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les Etats ».

Ce serait si simple de commencer à mettre en pratique dès l’école une éducation à la non-violence et à la solidarité à la place de l’actuel esprit de compétition qui induit la violence.

En attendant je reste convaincue que si chacun et chacune d’entre nous continue, en dehors de la Caravane, sa part de « Colibri » journalière au service de cet idéal nous participerons à la métamorphose de l’humanité. »

FraternitéPour aller un peu plus loin de ma réaction première et spontanée aux évènements de Paris, je voudrais partager avec tous de petits extraits du livre d’Abdennour Bidar, écrit après la tuerie de janvier, intitulé « Plaidoyer pour la fraternité », et que Sylvie m’avait demandé de lire dans cet esprit de partage avec les caravaniers. Tout le livre est à lire et à méditer profondément mais en ce dimanche 15 novembre au matin ce passage du paragraphe « Oser parler du sacré tous ensemble » que je viens de lire me paraît avoir été écrit pour aujourd’hui et pour nous : « Nous devons décider une bonne fois pour toutes de faire de la France le pays de la fraternité pour que le monde musulman et l’Occident trouvent ici, chez nous, le lieu idéal, le modèle d’harmonie dont ils ont besoin et qui nous fera sortir du choc des civilisations . Il nous faut remplacer la guerre des sacrés contradictoires par la guerre du sacré partagé….. entre musulmans et non musulmans, entre croyants et athées, on est restés les uns et les autres prudemment au bord du gouffre de la différence des sacrés en faisant consciencieusement comme s’il n’existait pas. Quel aveuglement collectif !....Il est temps de prendre enfin le risque non seulement d’en parler mais de proposer un sacré partageable…un sacré qui n’entre athéisme. Personnellement je ne vois que la fraternité qui remplissent ces critères.»

Et pour conclure « A l’impossible l’homme est tenu. Seuls les plus grands idéaux ont toujours donné à notre espèce humaine sa pleine mesure ! »

« Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait»écrivait Marc en lançant la première « Caravane amoureuse ». Cette neuvième Caravane est la preuve vivante que la fraternité peut s’apprendre et se vivre à chaque instant.

Danièle

Message de Marouen Zaara

Marouen ZaaraMarouen, organisateur de la caravane en Tunisie pour Planet Positive action, membre du croissant rouge tunisien et de la croix rouge internationale, nous envoie ce message de soutien, suite aux événements de Paris :

« Les mots ne pourront jamais exprimer combien je suis désolé pour vous. J'ai une profonde douleur pour ces actes de violence et ces massacres.

C'est incroyable...vraiment je n'ai pas de mot. Que Dieu vous protège ! Je pense qu'un des aspects les plus tristes de notre temps est la destruction dans la mentalité des hommes de tout ce qui avait un lien conscient avec le beau. Il faut se tourner vers les questions fondamentales de l'existence et nous assumer en tant qu'êtres spirituels. L'amour et l'éducation sont deux armes puissantes pour faire évoluer les mentalités et transcender les différences, sources d'inspiration, de dépassement, de tolérance et d'apprentissage du respect. Il faut travailler, participer à créer une société plus juste et fraternelle.

De tout mon cœur »

Marouen Zaara

Anecdote

Nous nous arrêtons à la pharmacie de la ville de Sodo (seau d’eau), pour acheter une solution réhydratante !

Témoignage

Françoise en pleine rencontre« Pour la première fois depuis notre départ, je suis venue au dîner en laissant toutes mes affaires dans la chambre. A mon retour, mon appareil photo et mon téléphone avaient  disparu. J’ai lâché une à une toutes les choses qu’il y avait dedans : 10 ans de contact dans le téléphone, toutes les rencontres dans lesquelles mon cœur s’était donné et avait reçu dans mon appareil photo. La paix a alors été là et je me suis endormie.

Le lendemain matin, en me rendant au petit déjeuner, Marc m’apprend que la veille  huit attentats ont été perpétrés à Paris. Je prends alors conscience que mon vol et les attentats avaient eu lieu à peu près au même moment. Cette simultanéité des évènements m’a permis de pardonner plus facilement à mon voleur, à ma négligence,  et d’avoir le sentiment de contribuer de ma modeste place au  pardon collectif… »

Françoise


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